Militer et se détendre en coloriant ? C’est possible grâce au nouveau livre du designer Geoffrey Dorne

Depuis son camp de base dans la forêt vosgienne, le designer graphique indépendant vient de publier un livre de coloriage singulier aux éditions HCKR, intitulé « Cahier de Colériage », en collaboration avec l’illustratrice ukrainienne Maryna Kostiushko.

Quelle est la genèse du projet ?

J’ai une fille qui va avoir 4 ans dans un mois. Quand les enfants grandissent, on a envie de faire des choses pour eux. Et tant qu’à faire, on veut agir pour ceux des autres aussi. Je me suis toujours dit qu’en tant qu’auteur, graphiste et personne qui crée et édite ses propres livres, faire du texte c’est bien, faire des images c’est bien, mais créer des images transversales pour les petit·e·s et les grand·e·s, c’était un challenge auquel je ne m’étais jamais attelé.

Le format du livre de coloriage s’est vite imposé. Au début, j’ai commencé à travailler sur des illustrations, en me disant que j’allais monter un projet en solo et à ma sauce, donc contestataire, engagé, etc. Mais j’ai fait face à mes limites techniques en dessin et j’ai pris la décision de faire appel à un·e spécialiste. Les thématiques à aborder étaient claires dans ma tête, j’ai conçu une vingtaine de croquis préparatoires, et sur cette base, j’ai me suis mis en quête d’illustrateur·rice·s sur Instagram. J’ai repéré une illustratrice ukrainienne, Maryna Kostiushko, qui possède un grand talent.

Comment s’est passée votre collaboration ?

Quand je l’ai contactée, j’avais conscience de son talent de dessinatrice, mais je n’en savais pas beaucoup plus sur elle. Dès les premiers échanges, Maryna s’est montrée ravie de collaborer, car elle réalise essentiellement des livres pour enfants, mais elle n’avait jamais été impliquée dans un projet engagé politiquement.

Elle habitait encore en Ukraine, avec ses deux enfants, au moment où nous avons signé le contrat de collaboration. Au fur et à mesure de nos échanges, elle a eu l’opportunité de quitter la guerre pour s’exiler au Portugal. Depuis un mois, elle a trouvé un logement sur place pour vivre tranquillement et à l’abri avec ses enfants.

Je suis donc d’autant plus heureux de la faire travailler, en la rémunérant convenablement, et en entretenant une relation de création commune. Parce que, bien évidemment, je la laissais très libre dans son travail, mais j’ai proposé quelques idées, qu’elle a appréciées, d’autant plus en lien avec les problèmes politiques qu’elle a rencontré.

Tu décris ce livre comme alliant « douceur et radicalité ». C’est une définition qui colle à ta personnalité…

J’aurai bientôt 40 ans et, avec le temps, mon besoin d’intégrer des idées politiques et engagées, et de les partager reste vital. Mais si tu fais ça le poing levé en criant, en disant que tout le monde est idiot, ça ne marche pas très bien. Et, surtout, ça peut en rebuter certain·e·s même. La posture un peu cliché de la contestation, ça ne me parle pas. Par ailleurs, je suis malgré moi un être sensible et je me dis qu’en proposant des images avec sensibilité, des manières de s’engager, on peut justement montrer aux gens qu’il est possible d’exprimer sa sensibilité sans être gnangnan. On peut s’engager de cette manière-là.

Donc j’essaye de le faire avec tact et subtilité, parce que quand on fait des images, il faut parfois faire rire, réfléchir, inviter à la curiosité, etc. L’idée est de ne pas s’inscrire dans les clichés de la révolte, mais aussi de ne pas tomber dans l’amertume et l’aigreur. Je le perçois parfois chez certain·e·s collègues et ami·e·s designers qui tentent de militer et qui tombent parfois dans l’aigreur ou la tristesse. Je veux éviter ça à tout prix.

Il existe aussi un fantasme du militantisme. Cela peut paraître attirant, mais ce n’est pas fait pour tout le monde.

Je suis d’accord avec toi. Et il existe des militant·e·s d’extrême gauche, anticapitalistes, libertarien·ne·s… Les formes sont diverses. Je pense même que quelqu’un qui élève ses enfants comme il peut, avec son courage et ses valeurs, c’est une manière de faire de la politique au sein du foyer. C’est un début.

Après partager ses idées et être en dialogue, c’est une manière de militer. Tout envoyer valser, retourner la table en disant « non, je vais pas vous parler, vous êtes tous·tes des idiot·e·s », selon moi, c’est l’inverse du militantisme.

En tant que designer, le design constitue mon outil d’engagement. Si j’avais été pêcheur, agriculteur ou je ne sais quel autre métier, j’aurais utilisé d’autres outils issus de cet autre métier pour m’engager également, à ma manière.

Aborder un sujet sérieux comme celui de l’engagement politique avec du fun, en l’occurrence du coloriage, ce n’est pas un exercice évident.

C’est antinomique ! C’est la raison pour laquelle j’ai appelé mon livre « colériage », avec un jeu de mots qui peut faire sourire. Cette dimension paradoxale m’intéresse, parce qu’un livre de coloriage se destine, a priori, à des enfants. Or on peut engager les enfants à se questionner en parcourant le livre : pourquoi des gens érigent une barricade ? Qu’est-ce que c’est que ce chiffon dans une bouteille ? Pourquoi ces personnes se sont mises au travers d’une route ? Sans oublier l’aspect ludique évidemment. J’ai offert un livre à ma fille, elle a pris ses crayons, elle a fait ça dans tous les sens, et c’était très amusant.

Du côté des adultes, il existe une tendance du coloriage, que j’ai découverte en concevant le livre. Certain·e·s se mettent à colorier des pages pour s’apaiser, des mandalas ou des personnages issus de dessins animés. A partir de ce constat, je me suis dit que mon livre pouvait concerner les deux publics, enfants comme adultes. Nous avons travaillé avec Maryna en nous disant que, ce paradoxe, nous allions l’accueillir dans son ensemble, afin de l’exprimer pleinement.


Cahier de Colèriage : Une révolution à colorier !

Auteur : Geoffrey Dorne

Illustratrice : Maryna Kostiushko
Éditions : HCKR.fr
Publication : 2025
Pages : 40
Illustrations : 25
Format : 200x200mm

Prix : 16€


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